Napoléon Ier (1769-1821), Premier consul à vie (1802-1804), Empereur des Français (1804-1815), chef militaire et stratège hors pair, despote éclairé, qui institutionnalisa de nombreuses réformes élaborées pendant la Révolution française, conquit presque toute l'Europe et œuvra à la modernisation des nations qu'il gouverna. Mythe de son vivant, il est une figure de proue de l'histoire de France, comme en attestent les débats qui continuent de diviser les historiens sur sa personnalité et le bilan de son passage au pouvoir.
La jeunesse de Bonaparte
Né à Ajaccio, deuxième fils de Carlo (Charles) Marie Bonaparte, avocat qui lutta pour l'indépendance de la Corse au côté de Paoli, puis se rallia aux autorités françaises en 1770, et de Letizia Ramolino, Napoléon Bonaparte appartenait à une famille de la petite noblesse corse d'origine génoise. Issu d'une famille nombreuse, dont seuls cinq garçons et trois filles parvinrent à l'âge adulte, il étudia comme boursier en compagnie de son frère Joseph au collège d'Autun (1778), puis à l'école militaire de Brienne (1779-1784), enfin à celle de Paris (1785) d'où il sortit avec le grade de sous-lieutenant. Jusqu'en 1791, il vécut en garnison à Valence, à Lyon puis à Douai. De taille moyenne, il verra son physique s'épaissir avec les années. Doté d'une prodigieuse mémoire et d'une réelle culture politique (il avait lu Montesquieu, Rousseau et les grands classiques français et étrangers), il se montra, dès sa jeunesse, doué d'un sens aigu des réalités. Opportuniste, il n'avait pas de principes bien arrêtés et partagea les conceptions religieuses, teintées d'anticléricalisme, d'un Voltaire : le christianisme lui apparaissait comme un facteur d'ordre social et, comme il le dira plus tard, «!les conquérants ne sont jamais brouillés avec les prêtres!».
Il adhéra avec sympathie à la Révolution et partit en mission en Corse, sa terre natale, où il devint lieutenant-colonel au sein de la Garde nationale corse. Il échoua à entrer dans la carrière politique, se heurtant à l'influence de Paoli qui cherchait à établir l'indépendance de l'île avec l'appui des Anglais. Lors de la déclaration d'indépendance de la Corse, Bonaparte, considéré comme patriote et républicain, dut se réfugier avec sa famille sur le continent en juin 1793. Après quelques commandements à Nice et à Marseille, la rencontre avec Robespierre et l'adhésion à la politique des Jacobins, il fut nommé capitaine dans l'artillerie et affecté au siège de Toulon qui s'était livrée aux Anglais. Il contribua à la prise de la ville et fut récompensé en étant promu au grade de général de brigade, à l'âge de vingt-quatre ans. Nommé commandant de l'artillerie de l'armée d'Italie, il fut emprisonné après le 9 Thermidor en raison de ses liens avec les Jacobins mais sa captivité fut de courte durée. Le 13 Vendémiaire an IV (5 octobre 1795), Barras appela Bonaparte pour réprimer l'insurrection royaliste de Paris dirigée contre le Directoire. Il fut alors nommé commandant en chef de l'armée de l'intérieur. En 1796, il épousa une créole, mère de deux enfants, Joséphine de Beauharnais, née Tascher de La Pagerie, veuve du général Alexandre de Beauharnais, guillotiné pendant la Révolution.
Le début de la légende
Promu général en chef de l'armée d'Italie le 2 mars 1796, il mena une campagne foudroyante contre les troupes austro-piémontaises et révéla à cette occasion son génie militaire. Il mit successivement quatre généraux autrichiens en déroute, obligea les souverains italiens à abandonner la coalition et contraignit l'Autriche et ses alliés à conclure la paix. Selon les termes du traité de Campoformio (17 octobre 1797), la France conservait la plupart de ses conquêtes et Bonaparte fondait dans le Nord de l'Italie la République cisalpine (connue plus tard sous le nom de royaume d'Italie). Il renforça sa position en envoyant des fonds au gouvernement français et se servit également de cet argent pour son propre compte : ses journaux et bulletins (le Courrier de l'armée d'Italie, Journal de Bonaparte et des hommes vertueux) exaltaient les exploits d'un général jusqu'alors inconnu, le décrivant comme «!un homme qui est partout et qui voit tout, volant comme l'éclair et frappant comme la foudre!» : Bonaparte, ayant compris l'importance de la propagande, avait entrepris de forger une légende autour de sa personne.
Victorieux et sauveur de la République, il bénéficiait dès cette époque d'une popularité immense mais attendit que le Directoire connût de sérieux revers pour dévoiler ses ambitions profondes. Les directeurs, inquiets de la renommée croissante du jeune général, cherchèrent à l'éloigner tout en utilisant ses talents militaires et le nommèrent à la tête de l'expédition d'Égypte. Il conquit ce pays dominé par les Ottomans (victoire des Pyramides) dans le but de menacer l'Angleterre en Méditerranée orientale et de couper la route des Indes à son rival en portant atteinte à ses échanges commerciaux. Bien que sa flotte ait été détruite à Aboukir par l'amiral Nelson, il soumit le pays et proclama, sans convaincre, sa tolérance vis-à-vis de l'islam. Opiniâtre, il réforma le gouvernement et le droit égyptiens, abolit le servage et le féodalisme, et garantit les droits fondamentaux. Les savants français qui l'accompagnaient commencèrent l'étude scientifique de l'Égypte ancienne. Pendant ce temps, la France connaissait de nouvelles défaites, faisant face à une nouvelle coalition de l'Autriche, de la Russie et de puissances de moindre importance qui s'étaient ralliées à la Grande-Bretagne. Bonaparte prit la mer, débarqua à Fréjus le 8 octobre 1799 et regagna Paris par surprise. Confronté au discrédit qui frappait le Directoire, Sieyès, qui entendait sauvegarder les principaux acquis de la Révolution, cherchait un général prêt à un coup d'État et qui rassurerait à la fois ceux qui redoutaient un retour à la royauté et ceux qui craignaient les Jacobins. Sans qu'il en ait eu réellement conscience, Bonaparte devint le rempart d'une bourgeoisie désireuse d'assurer sa prééminence.
Le Consulat
Avec l'aide de Sieyès, de Talleyrand, de Fouché, de Murat et de son propre frère, Lucien, alors président du Conseil des Cinq-Cents, Bonaparte prit le pouvoir lors du coup d'État des 18 et 19 Brumaire (9 et 10 novembre 1799) et instaura un nouveau régime, le Consulat. Premier consul, Napoléon Bonaparte fit publier la Constitution de l'an VIII, qui allait dans le sens de ses visées dictatoriales : elle concentrait dans ses mains toute l'autorité, escamotait le suffrage universel, émiettait le pouvoir législatif en quatre assemblées et confisquait l'exécutif au profit du Premier consul nommé pour deux ans. Deux autres consuls (Cambacérès et Lebrun) lui étaient adjoints, mais avec voix consultative seulement. Cette Constitution fut révisée en 1802 par un «!sénatus-consulte!», ratifié par plébiscite, qui accentuait les pouvoirs de Bonaparte en le nommant consul à vie.
Deux priorités s'imposèrent alors à lui : la réorganisation de la France et la lutte contre la seconde coalition. Sur le plan intérieur, Bonaparte réforma profondément le pays, «!recherchant un compromis juridico-politique entre la nouveauté révolutionnaire et l'ancien droit coutumier!» (selon l'historien François Furet), laissant une très importante empreinte législative et administrative. Le Premier consul établit à la tête de chaque département un préfet, qui coiffait toutes les collectivités locales. Reprenant à son compte la politique de centralisation de l'Ancien Régime et des Jacobins, l'État mit la main sur la justice par la loi du 18 mars 1800 et contrôla l'enseignement public (création des lycées). La police était fermement tenue par Fouché, qui imposa la censure à l'ensemble de la presse. Napoléon réorganisa les finances (création de la Banque de France, naissance du franc germinal), créa la Légion d'honneur et fit promulguer en 1804 un Code civil (Code Napoléon), concrétisation d'un compromis entre l'esprit du despotisme éclairé et le legs des idées de 1789, et qui modifia profondément les structures juridiques. Ce code fut suivi par les Codes de procédure civile (1806), du commerce (1807), d'instruction criminelle (1808) et enfin par le Code pénal (1810). Cette œuvre, «!legs durable du Consulat à la France moderne!» (François Furet), donna à Bonaparte l'occasion de faire passer dans la pratique de grands principes révolutionnaires : l'égalité devant la loi, l'abolition des privilèges et du droit d'aînesse, la liberté religieuse, la défense de la propriété et la constitution d'un droit indépendant des Églises. Afin de se concilier les milieux catholiques, il signa également un concordat avec Rome (avril 1802) au terme duquel il obtint un droit de regard sur les nominations ecclésiastiques en France.
À l'extérieur, Bonaparte dut faire face à la formation d'une seconde coalition. En 1800, il franchit les Alpes et mit les Autrichiens en déroute à Marengo (14 juin 1800). Par la suite, il négocia une paix générale (paix d'Amiens), confirmation du traité de Campoformio, qui faisait du Rhin la frontière orientale de la France.
L'Empereur
En France, l'opposition au Consulat s'enhardissant (attentat de la rue Saint-Nicaise, le 24 décembre 1800), Bonaparte profita de l'émotion publique pour renforcer son pouvoir personnel et pour rompre définitivement avec les royalistes à la suite du complot de Cadoudal, soutenu par les Anglais. Le 18 mai 1804, après diverses sollicitations savamment orchestrées, le Sénat proclama presque unanimement Napoléon Bonaparte Empereur des Français sous le nom de Napoléon Ier et déclara l'Empire héréditaire (décisions ratifiées par plébiscite). Le pape Pie VII vint de Rome afin de procéder au sacre qui eut lieu le 2 décembre 1804 à Notre-Dame de Paris. Napoléon organisa une cour impériale qu'il voulut digne des fastes de l'Ancien Régime : les membres de sa famille portèrent les titres de princes et d'altesses tandis qu'était créée une noblesse d'Empire. L'année suivante, la République italienne fut transformée en royaume dont Eugène de Beauharnais, beau-fils de l'empereur, fut nommé vice-roi. L'Europe semblait plier partout devant la puissance napoléonienne : des royaumes se créèrent sous sa protection, à la tête desquels il plaça des membres de sa famille. Une nouvelle page de l'histoire napoléonienne s'ouvrit. Débarrassé de toute opposition à l'intérieur, le destin de Napoléon Ier fut désormais celui d'un conquérant et se confondit pendant les dix années suivantes avec la politique européenne.
Les guerres napoléoniennes
En avril 1803, la Grande-Bretagne, irritée par le comportement agressif de Napoléon, avait rompu la fragile paix d'Amiens et était repartie en guerre sur les mers avec la France. Deux ans plus tard, l'Autriche, la Russie et les Deux-Siciles la rejoignirent dans la troisième coalition. Affaibli par la grave défaite navale de Trafalgar (21 octobre 1805), Napoléon abandonna alors l'idée d'envahir la Grande-Bretagne et se retourna contre les forces austro-russes, les mettant en déroute lors de la bataille d'Austerlitz, le 2 décembre 1805. Le 15 décembre, la Prusse signa le traité de Vienne et le 26 décembre le traité de Presbourg mit fin à la coalition. En 1806, Napoléon s'empara du royaume de Naples et plaça Joachim Murat, son beau-frère, sur le trône, fit de la République hollandaise le royaume de Hollande qu'il destina à son frère Louis, puis fonda la Confédération du Rhin (rassemblant la majorité des États allemands) qui marquait la fin du Saint-Empire, et dont il s'institua le protecteur. Une nouvelle campagne contre la Prusse et la Russie commença en 1806. Napoléon anéantit l'armée prussienne à Iéna et à Auerstedt (1806), et l'armée russe à Friedland. En juillet 1807, à Tilsit, il fit du tsar Alexandre Ier son allié, se partagea l'Europe avec lui et réduisit de manière conséquente la taille de la Prusse (voir Tilsit, traité de). Il agrandit son Empire en lui adjoignant le royaume de Westphalie, sur lequel régna son frère Jérôme, le grand-duché de Varsovie, ainsi que d'autres territoires.
Rentré à Paris fort de ses succès, Napoléon renforça le caractère autoritaire du régime et poursuivit ses réformes intérieures dans un sens de plus en plus intransigeant, assurant son absolutisme sur tous les plans : contrôle de la police et de l'Université impériale par le grand maître Fontanes, suppression du Tribunat créé sous le Consulat, verrouillage des libertés publiques. Engagé dans un processus vertigineux, l'Empereur poursuivit sa politique d'expansion européenne. Napoléon établit le blocus continental, imposé par la France à l'encontre des marchandises britanniques, conçu pour mettre en faillite ce qu'il appelait la «!nation des marchands!». Cependant, pour assurer l'étanchéité de l'Europe et l'efficacité du blocus, il dut s'engager dans une nouvelle série de conquêtes : en 1807, il s'empara du Portugal et, en 1808, il fit occuper Rome, cependant qu'il plaçait son frère Joseph sur le trône d'Espagne, à la faveur d'une expédition qui marqua le début de ses revers et qui provoqua un soulèvement national de la population, réprimé dans le sang. Napoléon fit dans ce pays de brèves apparitions et remporta plusieurs victoires, mais, après son départ, le conflit continua pendant cinq ans, les Britanniques soutenant les armées et la guérilla espagnoles. La guerre d'Espagne coûta à la France trois cent mille morts et blessés, et contribua, de manière significative, à affaiblir l'Empire napoléonien.
En 1809, Napoléon occupa Vienne et battit à nouveau les Autrichiens à Wagram. À l'issue de cette bataille, il signa une nouvelle paix à Vienne, le 14 octobre 1809. Peu après, il annexa l'Ilyrie et les États pontificaux à l'Empire. Ayant divorcé de l'impératrice Joséphine, qui ne lui avait pas donné d'enfant, il épousa, en 1810, l'archiduchesse Marie-Louise, fille de François II, empereur d'Autriche. En s'alliant aux Habsbourgs, la plus ancienne maison régnante d'Europe, il espérait que son fils, né en 1811, et immédiatement proclamé roi de Rome, serait à l'origine d'une dynastie dont la légitimité apparaîtrait incontestable aux yeux de l'ensemble des monarques européens. Cette même année 1810, les frontières de l'Empire furent repoussées aussi loin que possible, avec l'annexion de Brême, de Lübeck, ainsi que de plusieurs régions du nord de l'Allemagne, à laquelle s'ajouta la totalité du royaume de Hollande, à la suite à l'abdication qu'il imposa à son frère Louis Bonaparte, qui s'était montré indocile.
Cette époque marqua l'apogée de l'Empire napoléonien s'étendant sur cent trente départements qui allaient de Brest à Hambourg, d'Amsterdam à Rome et à Trieste. 750 000 km2 regroupaient plus de soixante-dix millions d'habitants dont trente millions seulement étaient français. L'Autriche, séparée de l'Allemagne, était privée d'accès à la mer, la Prusse ramenée à ses frontières d'origine et l'Angleterre réduite à l'impuissance. Adossés à cet Empire, les États «!satellites!» étaient disposés en arc de cercle : la Confédération du Rhin, la Suisse, la République italienne, Murat à Naples, Joseph à Madrid et le grand-duché de Varsovie plus loin à l'est. Au sein de l'ensemble des nouveaux royaumes fondés par l'Empereur, le Code Napoléon entra partout en vigueur. Le féodalisme tout comme le servage furent abolis, et la liberté religieuse instaurée (sauf en Espagne). Chaque État reçut une constitution établissant le suffrage universel pour les hommes ainsi qu'un Parlement, et intégrant une déclaration des droits. Des systèmes administratifs et judiciaires calqués sur le modèle français furent instaurés. Des écoles furent soumises à une administration centralisée et un système d'enseignement libre fut organisé. L'enseignement supérieur fut largement ouvert, sans distinction de classe ou de religion. Chaque État vit la création d'un conservatoire et d'académies consacrées à la promotion des arts et des sciences. Ce ne fut souvent qu'après la chute de Napoléon que les peuples qui avaient été soumis à sa domination purent mesurer les changements qui avaient été introduits dans leurs institutions et leur système juridique.
La chute de Napoléon
En 1812, Napoléon, dont l'alliance avec Alexandre Ier avait été rompue, entreprit la campagne de Russie qui prit fin avec la retraite désastreuse de Moscou. Mal approvisionnée, luttant contre la neige et le froid, l'armée se perdit en partie dans les eaux de la Bérézina et seulement moins de cinquante mille soldats rescapés rentrèrent de la campagne de Russie. Par la suite, l'ensemble des puissances européennes (la Prusse, l'Allemagne, la Russie, l'Autriche et l'ennemi de toujours, l'Angleterre) s'allièrent contre lui. Malgré la conspiration à Paris du général Malet et la montée des mécontentements intérieurs, Napoléon réussit cependant à monter sur pied une armée de jeunes conscrits, les «Marie-Louise» avec lesquels il commença brillamment la campagne de 1813, remportant des victoires à Lützen (1er-2 mai) et à Bautzen (19 mai). Toutefois, en Espagne, Joseph dut quitter Madrid et la défaite de Vitoria mit fin à la domination française dans la péninsule Ibérique. L'Allemagne fut également abandonnée après la défaite de Leipzig (16-18 octobre 1813) et la France attaquée (campagne de France). Tout se passait comme si la grande nation devenue Empire voyait son propre message de libération se retourner contre elle-même et contre les valeurs qu'elle prétendait universaliser. Une formidable réaction antinapoléonienne, nationale et contre-révolutionnaire prit définitivement corps en Europe. En avril 1814, ses maréchaux refusèrent de continuer le combat. Déchu par le Sénat le 3 avril, Napoléon abdiqua sans conditions et fut exilé à l'île d'Elbe, en Méditerranée, qu'il reçut comme royaume avec une rente. L'impératrice Marie-Louise et son fils furent confiés à la garde du père de cette dernière, l'empereur d'Autriche, et Napoléon ne les revit jamais. Alors qu'en France une opposition bonapartiste s'organisait contre Louis XVIII, dont le régime paraissait fragile, Napoléon s'échappa de l'île d'Elbe en mars 1815, arriva en France et marcha sur Paris, gagnant à sa cause les troupes envoyées pour le capturer. À Paris, il promulgua une nouvelle constitution, plus démocratique, et les anciens combattants qui avaient servi au cours de ses premières campagnes affluèrent pour lui apporter leur appui. Napoléon demanda la paix aux Alliés qui, en retour, le mirent au ban de l'Europe, ce qui le décida à prendre l'initiative de l'attaque. Il lança la campagne de Belgique qui se solda par une défaite lors de la bataille de Waterloo le 18 juin 1815. Ayant perdu tout appui politique, Napoléon se réfugia à Rochefort, où il s'embarqua à bord du navire anglais le Bellerophon, marquant ainsi la fin de la période dite des Cent-Jours. Il fut exilé à Sainte-Hélène, île isolée au sud de l'océan Atlantique, où il passa sa captivité à dicter ses Mémoires, en butte aux brimades du gouverneur de l'île Hudson, Lowe. Il mourut des suites d'un cancer de l'estomac, le 5 mai 1821.
La légende napoléonienne
La légende napoléonienne naquit de son vivant. En réalité, il avait commencé à la cultiver au cours de sa première campagne en Italie en rendant ses victoires systématiquement publiques. Il avait engagé, en qualité de Premier consul et d'Empereur, les meilleurs écrivains et artistes français et européens afin qu'ils glorifient ses exploits, et avait apporté sa propre contribution à l'avènement du culte en organisant des cérémonies qui lui permettaient de célébrer son règne, présenté comme une époque de gloire pour la France. Il assurait qu'il avait préservé les acquis de la Révolution française et offert les avantages qui en résultaient à l'Europe. De même, il affirmait que son but était de fonder un État européen sur le modèle d'une «!fédération des peuples libres!». Magnifié, il devint l'un des héros de l'histoire de France. En 1840, ses restes furent ramenés à Paris, à la demande du roi Louis-Philippe, puis enterrés aux Invalides, où ils reposent depuis lors. Pour synthétiser, et en reprenant la typologie établie par son biographe Jean Tulard, Napoléon prit cinq visages successifs depuis le moment où il entra dans l'histoire jusqu'à nos jours : la légende officielle tout d'abord vit dans Napoléon l'homme qui avait sauvé la France, épurant les milieux politiques, redressant la situation militaire, rétablissant l'ordre et la discipline. Suivirent les désastres de Russie et d'Allemagne, l'invasion et l'abdication. Sentiment national et exaltation religieuse se mêlaient alors pour donner l'image d'un Napoléon antéchrist, dénonçant son despotisme, la ruine économique de la France et la saignée démographique. Cette légende noire qui persistera à travers tout le XIXe siècle voyait en Napoléon la figure de Gengis Khan ou d'Attila plutôt que celle de César. Une nouvelle légende dorée, celle d'un Napoléon proche du peuple et des petites gens, vit le jour après 1817. Un peu plus tard s'imposa la légende libérale et républicaine, voyant en Napoléon un soldat de la Révolution plus qu'un César antilibéral, le premier unificateur de l'Europe ainsi que l'ancêtre de l'État de droit. Le mythe d'un Napoléon enchaîné tel Prométhée sur un îlot rocheux de l'Atlantique enthousiasma les romantiques qui en firent un héros de tragédie antique. Enfin, au XXe siècle, Napoléon devint un symbole de la France, une image d'Épinal, dégagée des passions politiques. Le cinéma (notamment Abel Gance) s'empara même de sa personne qui fut à l'origine de très nombreux films.
L'héritage de Napoléon
À défaut de fonder une dynastie, Napoléon laissa un héritage politique, qui, se fondant sur son souvenir, exerça encore une influence sur la vie politique française. Son neveu Napoléon III fut élu président de la République en 1848 lors de l'avènement de la IIe République et restaura l'Empire en 1852. Après la fondation de la IIIe République, le mouvement du général Boulanger peut d'une certaine manière être assimilé à une certaine forme de bonapartisme. Enfin, le gaullisme, comme le fit remarquer René Rémond dans son livre les Droites en France peut également être considéré comme un nouveau bonapartisme. Exaltant en effet l'appel au peuple par-delà les intermédiaires, la fierté nationale et une haute idée de la France, pratiquant une certaine forme de populisme, le gaullisme présente un certain nombre de points communs avec les idées et l'action de Napoléon Bonaparte en son temps.