MATINÉE DE PRINTEMPS

Les persiennes ouvraient sur le grand jardin clair
Et, quand on se penchait pour se griser de l'air
Humide et pénétré de fraîcheurs matinales,
Un vertige inconnu montait à nos front pâles,
Et nos cœur se gonflaient comme un ruisseau grossi,
Car c'était tout un vol de parfums adoucis
Dans l'éblouissement heureux de la lumière.
Les lilas avaient des langueurs particulières
Où se décomposait une odeur de terreau.
Tout le printemps chantait de l'éveil des oiseaux
Et, dans le déploiement des ailes engourdies
Passait le grand élan paisible de la vie.
Une rumeur sonore emplissait la maison.
On entendait des bruits d'insectes ; des frissons
Faisaient trembler les grappes mauves des glycines
Tandis qu'allégrement des collines voisines
Un parfum de sous-bois arrivait jusqu'à nous.
Ô matins lumineux ! matins dorés et flous,
Je vous respirerai plus tard à la croisée
Et vous aurez l'odeur des feuilles reposées.
Et ce sera comme un très ancien rendez-vous.

Francis Carco